Création et production

Cohorte Pratiques Sonores | Chantier IA

Dans le cadre du Chantier IA, Sporobole accueille une cohorte de trois artistes – Amélie Laurence Fortin, Maurice Jones et Estelle Schorpp – pour une résidence de création de six semaines dédiée à l’exploration des technologies d’IA générative. Qu’il soient issus de pratiques variées telles que la musique, les arts sonores, le podcast, la radio, les arts de la parole et la poésie performée, ces artistes travailleront en parallèle au développement de leurs projets respectifs. Accompagnés par l’un de nos développeurs en technologies numériques, ils auront l’opportunité d’expérimenter, de partager leurs connaissances et de concevoir des prototypes ou des séquences d’œuvres. Orientée vers la recherche et l’expérimentation, cette résidence ne vise pas nécessairement la production d’œuvres finalisées, mais plutôt l’ouverture de nouvelles perspectives artistiques et technologiques.

Une composition numérique représentant un diamant aux multiples facettes. Le diamant, qui occupe une grande partie de l'image, intègre des éléments de visage humain, dont des lèvres bleu vif, un nez et des yeux en cristal. En arrière-plan, des textures abstraites en noir et blanc évoquent des motifs organiques ou numériques. L'image dégage une impression futuriste et surréaliste.

Amélie Laurence Fortin

Grammaire universelle

Avec l’avènement de la bioacoustique numérique (enregistreurs numériques que les scientifiques utilisent pour enregistrer les animaux en continu sans les perturbations liées à l’introduction d’observateurs humains dans un écosystème), on assiste à un véritable déluge de données. Celles-ci permettent depuis peu à l’IA de créer des algorithmes de traitement du langage naturel qui commencent à détecter des schémas dans la communication non humaine, nous rapprochant  soudainement de l’idée d’une grammaire universelle émise par Noam Chomsky. Les recherches faites en ce sens sont en train de transformer définitivement la méthodologie anthropocentriste actuelle pour évaluer l’intelligence animale : elles ont le potentiel d’interroger notre statut et notre positionnement dans le règne animal et pour questionner notre manière d’interagir avec le vivant.

Pendant sa résidence, l’artiste explorera les développements de la traduction et des communications grâce à l’IA dans l’espoir de s’associer avec un des quatre grands groupes de recherches universitaires sur le langage des insectes et les animaux. L’exploration de leurs bases de données et l’apprentissage de leurs approches mathématiques des algorithmes lui ouvrira une perspective sur les divers enjeux méthodologiques de la traduction. Ultimement, l’utilisation d’outils génératifs lui permettra de réfléchir au concept actualisé de traduction/décodage et de constituer une banque de nouveau matériel sonore pour créer des œuvres qui abordent la communication avec le non-humain.

📷 Composition numérique. Courtoisie de l’artiste.

Une scène naturelle en milieu forestier. On y voit un tronc d'arbre mort entouré de branches moussues et de feuilles mortes au sol. Une enregistreuse audio portative avec un micro est placée parmi les branches, suggérant une captation sonore de l'environnement naturel. L'eau stagnante et la mousse verte sur le sol renforcent l'idée d'une immersion sonore en pleine nature.

Maurice Jones

settler-native-slave

settler-native-slave est un projet de recherche-création qui explore les chemins entrelacés de la libération des Noirs et des peuples autochtones par le biais d’un son génératif et spatialisé. Dans leurs recherches, les spécialistes Eve Tuck et K. Wayne Yang décrivent le colonialisme de peuplement comme une « structure triadique enchevêtrée de colons, d’autochtones et d’esclaves [“entangled triad structure of settler-native-slave”] ». Cependant, les récits historiques sur les peuples autochtones et noirs ont tendance à se concentrer uniquement sur leurs interactions avec les colons européens. Cette perspective simplifiée à l’extrême déforme l’histoire et occulte les cultures, les politiques et les relations complexes qui se sont développées entre les communautés autochtones et noires à travers les Amériques. Par conséquent, elle limite les possibilités d’un avenir collectif et libérateur.

S’appuyant sur Technologies of the Surround de B. Coleman, son plus récent travail, feral.ai, applique l’histoire du marronnage –- en particulier les récits des esclaves fugitifs qui se sont échappés dans la « nature » du Great Dismal Swamp pour former des communautés libérées — à l’apprentissage automatique. Cette approche vise à reprogrammer la technologie en la transformant en un outil génératif de libération. Bien que l’étymologie française du mot « marron » évoque un sentiment d’abandon sans ressources, la zone dite « sauvage » est loin d’être vide. Les communautés autochtones ont habité les marais pendant des millénaires; elles ont laissé derrière elles des artefacts matériels et des connaissances fondées sur le lieu qui ont non seulement contribué à la survie des Marrons, mais ont aussi favorisé leur épanouissement.

settler-native-slave est le dernier volet d’une trilogie d’œuvres sonores spatiales et génératives. Alors que Soundscapes of an Earthly Community envisageait des futurs alternatifs de libération noire, feral.ai explorait le rôle des technologies non ancrées dans la réalisation de ces futurs. Aujourd’hui, settler-native-slave porte son attention sur le voyage lui-même et retrace les histoires enchevêtrées des communautés autochtones et noires en posant la question suivante : « Qui rencontrons-nous en chemin? Qui rencontrons-nous en chemin et comment ces liens peuvent-ils façonner des avenirs collectifs et libératoires?

📷 Feral.ai, 2024, Maurice Jones. Courtoisie de l’artiste.

Un dessin ancien de style manuscrit, comportant des schémas mécaniques détaillés. On y voit des croquis d'oiseaux posés sur une structure mécanique composée de poulies, de tuyaux et de dispositifs circulaires, avec des annotations manuscrites en grec ancien. Le dessin rappelle des croquis de machines automates inspirés des inventions de l'Antiquité.

Estelle Schorpp

A Stochastic Spring

A Stochastic Spring est un projet de recherche-création autour des chants d’oiseaux générés par intelligence artificielle.

En 1962, Rachel Carson prédit un printemps silencieux : les oiseaux disparaissent. Pourtant, nos environnements sonores contemporains regorgent de sons d’oiseaux médiatisés par les technologies de reproduction. Du premier enregistrement d’oiseau avec un phonographe par Ludwig Koch en 1889 jusqu’aux listes de lecture de l’application Spotify, le chant d’oiseau a gagné le don d’ubiquité.

Si l’enregistrement de terrain comme pratique culturelle et méthode scientifique a révolutionné notre relation avec les sons de la nature, les outils d’intelligence artificielle (IA) amènent de nouvelles possibilités, de nouveaux questionnements, et donc un nouveau rapport à l’environnement sonore.

À l’ère du Capitalocène et de la crise du vivant, comment les outils d’IA modifient-ils notre rapport aux chants d’oiseaux et plus généralement aux sons de la nature? 

Alors que l’IA est souvent rapprochée de l’intelligence humaine, elle n’est jamais comparée à celle des animaux. Les oiseaux ont toutefois beaucoup de choses en commun avec les machines, à tel point que Jacob Smith inventera la notion de « bird media » dans son livre Eco-Sonic Media. En effet, les chants d’oiseaux constituent un système de communication complexe à l’instar du langage et certaines espèces ont la capacité d’apprendre leur langue et de reproduire leur environnement sonore. D’autres peuvent être entraînées, comme ce fut le cas des canaris, qui procuraient un divertissement musical domestique avant que le phonographe ne soit inventé.

Dans cette optique, ce projet explorera plusieurs directions conceptuelles : IA imitant des chants d’oiseaux, IA et oiseaux en conversation, IA inventant de nouvelles espèces d’oiseaux, IA recréant des chants d’oiseaux éteints.

📷 Héron d’Alexandrie, Pneumatica 1,16 : dessin technique d’un appareil hydraulique à chants d’oiseaux artificiels, Manuscrit de Venise, Biblioteca Marciana, Gr. 516, suiv. 172v. Ce codex du XIIIe siècle est le plus ancien texte connu du Pneumatica de Heron d’Alexandrie.