Marie-ève Levasseur et Sabrina Ratté | CHANTIER IA 2025 | Cartes blanches & mémos pour le futur
Dans le cadre de son Chantier IA 2025, Sporobole présente Cartes blanches & mémos pour le futur, une exposition qui réunit deux propositions artistiques issues des résidences 2024, soit celles de Marie-Ève Levasseur et de Sabrina Ratté.
Prenant appui sur la figure de la carte (divinatoire et à collectionner) et s’arrimant toutes deux à l’idée d’anticipation et de projection future, ces œuvres abordent notre relation à l’avenir et nous amènent à repenser notre impact au sein d’environnements en mutation.
Cartes blanches & mémos pour le futur
La figure de la carte se présente sous différentes facettes : cartes à jouer, à collectionner, divinatoires, identitaires, graphiques, etc. La carte, par définition, circonscrit un ensemble d’éléments, donne des indications et contient/transmet des informations, des données, des messages, des symboles. En contrepartie, la carte blanche délimite un espace de liberté où tout peut encore s’inscrire : elle véhicule une vision possible, porte une part d’imprévu qu’illumine un principe de potentialité. Ce qu’on ne peut prévoir repose sur un état de pénombre : on distingue difficilement ce qui se profile à l’horizon même si les données sont là, prêtes à intégrer l’algorithme qui voudrait bien nous calculer un monde hypothétique. À l’image du fou ou du joker, on ne connaît pas l’avenir qui éventuellement et inévitablement s’inscrira sur cette carte et dont le mémo nous parviendra assurément, mais sans nécessairement prévenir.
Toutes deux issues des programmes de résidences de notre Chantier IA 2024, les propositions artistiques présentées dans le cadre de cette exposition s’inscrivent dans le sillage d’explorations avec l’intelligence artificielle (IA). Prenant appui sur la figure de la carte – à collectionner dans le cas de Marie-Ève Levasseur et divinatoire du côté de Sabrina Ratté – et s’arrimant à l’idée d’anticipation et de projection future, les œuvres proposées abordent notre relation à l’avenir et nous amènent à repenser notre impact au sein d’environnements en mutation. Véritables objets de médiation, ces cartes deviennent ici un prétexte pour réfléchir un futur dont la part d’imprévisibilité peut inquiéter. Sans pour autant prédire, il s’agit – avec cette exposition – d’envisager l’avenir en ouvrant des espaces de dialogue et d’échange que la force de calcul de l’IA peut parfois stimuler.
L’installation écosystèmes d’altérité radicale (relations génératives) (2024-2025) de Marie-Ève Levasseur rassemble une série d’éléments autour de l’idée d’interaction et d’interrelation entre entités vivantes et non vivantes, et le lien qu’elles entretiennent avec leur environnement. S’inspirant de l’univers des insectes, les figures créées à l’aide d’IA se présentent comme des cyborgs dont l’hybridité technologique se cristallise à travers des comportements et des aptitudes qui sont, a priori, inexistantes dans la nature. Cet écosystème fictif, qui met de l’avant l’aspect relationnel et la question de l’interdépendance, est constitué de spécimens types dont les identités très spécifiques se trouvent transposées sous forme de cartes à collectionner.
Les cartes jouent ici un rôle identitaire : subdivisées en familles identifiées sous différentes relations symbiotiques – parasitisme, mutualisme et commensalisme –, puis formatées afin d’évoquer une relation d’appartenance plus globale, elles mettent en scène un petit théâtre interrelationnel qui s’actualise à travers la composante vidéographique de l’installation. Connectée à un système d’IA, cette vidéo générative simule sous nos yeux un enchaînement cyclique de (co)existences virtuelles qui évoluent dans un environnement obéissant à une logique métamorphique. Si les cartes figurent ici les personnages principaux d’un contre récit spéculatif, le futur qui s’en dégage s’inscrit quant à lui dans les marges aménagées par le travail algorithmique.
De son côté, l’installation Cyberdelia (2024) de Sabrina Ratté explore le motif de la carte divinatoire. Librement inspirées des arcanes majeures du tarot, 22 cartes « contiennent » autant de courtes séquences vidéos créées à l’aide d’un système d’IA. Sorte d’oracle cyberdélique – en référence à la rencontre entre la cyberculture et la sous-culture psychédélique des années 1980-1990 – l’œuvre invite le public à tirer une carte, laquelle devient alors un outil de co-réflexion en regard des questionnements de la personne qui « consulte », pour reprendre un terme du langage divinatoire. Cette même carte est ensuite lue via un lecteur RFID afin de révéler la séquence vidéo associée, déployant sous nos yeux la perspective algorithmique de l’IA.
L’œuvre pose un regard sur notre monde et ses mutations multiples, évoquant par le fait même les transformations environnementales, tout en prenant appui sur des éléments paradigmatiques qui fondent nos représentations du monde. Des figures fortes – archétypes, thèmes ou phénomènes – tels que l’obsolescence, l’utopie, la symbiose, la luminescence, l’abysse, le vortex, etc. sont ainsi mises de l’avant. Se déployant en liaisons et déliaisons d’idées, les vidéos que déclenchent les cartes sont comme des micro capsules dévoilant des visions oniriques qui nous projettent vers un avenir éventuel. Les « mémos pour le futur » que nous transmettent ces cartes agissent alors comme autant de glitches fulgurants, lézardant le présent.
Nathalie Bachand, commissaire
Le 7 mars prochain à l’occasion du vernissage de l’exposition, nous célébrerons le lancement de la revue 𝐸𝑠𝑝𝑎𝑐𝑒 no.139 – Blockchain
