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« FAKE », MILKSHAKE ET « FORTUNE COOKIE »

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Le texte qui suit a pour point de départ l’idée de l’art comme « fake science ». Il aborde les questions sous-jacentes de la vérité de l’art ; de l’autorité ; de la post-vérité et autres faits alternatifs. Il parle d’Orwell « revival » ; de chef d’œuvre Instagram et de notre relation compliquée avec la vérité en ligne. Des exemples de « fake science » sont mentionnés : un canular scientifique et des œuvres qui en font une mise en abîme. On évoque la post-réalité et la négociation que cela suppose, puis on termine sur un « short cut ».

 

L’art comme « fake science »

Quand je vois ou entends la formule « art et science », une des choses auxquelles je pense assez spontanément sont des propositions artistiques qui miment les sciences, ou du moins qui laissent croire à une certaine forme d’expérience ou de recherche scientifique. C’est un biais bien sûr. Je viens du monde de l’art, je pense art en premier : je vois du vrai art, et de la fausse science. Mais aussi, je sais qu’il s’agit d’art : je suis dans une galerie, je lis un texte où l’objet de mon attention est qualifié d’œuvre, et ce dernier se trouve parmi d’autres objets qui semblent être des œuvres également, le silence règne, je suis seule dans cet espace – il s’agit bien d’art. Les signes ne trompent pas. Et pourtant, ce que je perçois comme de la fausse science, du « fake », n’est peut-être pas si faux. Ce faux est peut-être porteur de vrai, mais comme en creux, à l’image de ce que l’on a appelé le contre-savoir dans l’un des premiers textes de ce blogue : Approcher l’idée de contre-savoir (ouvrir des fenêtres et tourner autour de l’informe).

 

Ce que le faux peut contenir de vrai

Même aux tréfonds de la fosse à faussetés, se trouve généralement un germe de vérité. Nous ne construisons pas le mensonge sur du rien : il s’érige à partir des débris d’une réalité x. Cela vaut pour le travail de l’imaginaire, la création – art, littérature, cinéma, etc – mais aussi pour les actualités et les informations qui nous parviennent : il y a toujours ancrage dans la réalité à divers degrés. En ce sens, on pourrait dire que le faux est d’emblée une forme de dérivé du vrai. On peut aussi dire, à l’inverse, que le vrai s’origine du faux et ce, d’au moins deux manières. Pensons aux fausses pistes de recherche scientifique qui ont finalement ouvert la voie vers de vraies découvertes (relire le texte Le contraire de l’illumination de mon collègue Miguel Aubouy pour en avoir quelques exemples). Puis dans une œuvre d’art : comment ce qui, au départ, semble n’avoir rien à voir avec la vérité – l’art contemporain par exemple se fait parfois accuser de tromper le public, d’être une imposture, et donc de ne pas être dans le « vrai » – finit par générer du sens et révéler de la vérité.

La vérité de l’art cependant est relative. Elle ne possède pas, par exemple, l’autorité de la science. Ce qu’elle énonce est souvent une combinaison d’intuition, d’émotion et d’imagination qui, bien qu’ancrée dans la réalité, se trouve néanmoins subvertie. C’est que l’art cherche à dire autre chose que ce que nous connaissons déjà du réel.

 

Vérité et autorité : le droit à la mise en doute

Sommes-nous conscients qu’une vérité – un fait vérifiable – est directement liée à l’autorité qui l’énonce ? Et lorsque les figures d’autorités changent, c’est aussi le monde qui change : ce qu’il contient est alors réévalué, remixé, remis dans la balance. La perte des ancrages communs c’est toujours une trappe qui s’ouvre sous nos pieds. Et cette chute mène nécessairement vers une forme flottante d’instabilité, à durée variable – elle peut être fertile et inspirante, tout autant que paralysante et perturbante.

Les figures d’autorité ne changent pas du jour au lendemain et la science demeure l’une des plus hautes autorités en termes de savoirs factuels. Il existe néanmoins des regroupements qui croient que la terre est plate, que l’homme n’est jamais allé sur la lune, ou qui adhèrent à la théorie créationniste, laquelle bénéficie de nombreux adeptes notamment aux États-Unis. Tout cela existe et, loin d’être inactifs, ces groupes revendiquent de plus en plus leur voix publique. Avec la démocratie 2.0 augmentée, la parole est désormais donnée à tous et l’internet crie incessamment ses milles et unes vérités dans un ahurissant vacarme numérique.

Nous ne retournerons pas en arrière : la parole donnée ne sera pas reprise, l’internet et les réseaux sociaux ne cesseront pas d’exister à moins d’un total « shut down » mondial. On peut cependant imaginer une dystopie 1984’ienne où le contrôle totalitaire et la censure fait grande surface. Depuis 2014 la Chine parle de mettre en place un système de notation numérique visant à évaluer les citoyens à partir de leurs données en ligne. Elle a annoncé récemment que dès mai 2018, les individus les moins bien cotés – ayant le moins bon « crédit social » – se retrouveront interdits de prendre l’avion pour sortir du pays pour une période pouvant aller jusqu’à un an – mais c’est une autre histoire. En attendant, aux États-Unis, des groupes clament leur droit à la légitimité et ce, au nom du fait qu’ils croient différemment des courants idéologiques officiels et des certitudes convenues. Que les faits aient été maintes fois vérifiés n’importe pas car c’est justement l’autorité émettrice qui est remise en question. C’est une question de confiance en cette autorité qui est en jeu. Aussi stupéfiant que cela puisse paraître pour certains, on peut effectivement croire dur comme fer que la terre est plate (même si, à mon avis, les chats auraient déjà tout balancé en bas du disque plat si cela devait être le cas). C’est donc dire qu’une partie de la population avec laquelle nous cohabitons s’abreuve de milkshakes de « fake » à saveur « custom » – à chacun son régime diront certains, mais ne devrions-nous pas être inquiets ?

Que devient la valeur des preuves dans un monde où plus personne ne les demande ? Les évidences ne deviennent-elles pas des données perdues ? Des données fantômes qui nous hantent ?

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Post-vérité, faits alternatifs et « fake news » : Orwell « revival »

Que devrions-nous comprendre exactement par « post-vérité » ? Wiki dit que la « post-vérité diffère de la contestation traditionnelle et de la falsification de la vérité en reléguant celle-ci à un souci d’importance secondaire par rapport à un appel à l’émotion. Bien que cela ait été décrit comme un problème contemporain, il est possible qu’il fasse depuis longtemps partie de la vie politique, mais il était moins visible avant l’avènement d’internet et des changements sociaux connexes. » Donc l’ère numérique change la donne – sommes-nous surpris ? – et traduit de manière plus évidente la stratégie consistant à détourner notre attention des faits.

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Certains s’en souviendront, « faits alternatifs » (« alternative facts ») est une expression qui a été utilisée pour la première fois par Kellyanne Conway, conseillère américaine, lors d’une interview Meet the Press en janvier 2017, dans laquelle elle défendait la fausse déclaration du secrétaire de presse de la Maison Blanche, Sean Spicer, concernant l’assistance du public lors de l’investiture de Donald Trump en tant que président des États-Unis. À ce sujet, Wiki révèle que l’expression – « faits alternatifs » – a été largement décrite comme Orwellienne. Quatre jours après l’interview, les ventes du livre « 1984 » avaient augmenté de 9.500%, ce que le New York Times et d’autres médias ont attribué à l’utilisation de la phrase par Conway, faisant du livre le best-seller numéro un sur Amazon.com. Manœuvrer avec la non-vérité ou le mensonge n’est pas nouveau, mais comme le suggère cette explosion des ventes de « 1984 », cela peut conduire en des lieux inattendus – des lieux totalitaires et fascistes, mais aussi des lieux où la bêtise domine, où le vide et le non-sens sont la norme. Ce qui, au final, est plus pernicieux, puisque non-officiellement criminel.

Les faits alternatifs et les médias vont actuellement main dans la main, ils vivent définitivement une intense histoire d’amour. Les fausses nouvelles sont devenues banales dans le paysage médiatique. Nous savons tous qu’elles se répandent partout dans les interwebs, et nous devons donc également savoir que nous sommes nécessairement manipulés à divers degrés. Elles peuvent être satiriques ou parodiques (The Onion par exemple), ce qui est l’aspect positif de son « evil » envers, c’est-à-dire les contenus fabriqués et trompeurs, de même que la propagande. L’un des problèmes de ce fléau est la rentabilité des fausses nouvelles : les contenus « clickbait » sont des nids confortables pour les revenus publicitaires. Cela étant, le phénomène suit son cours en suivant le fil vers l’argent facile.

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Nous vivons désormais dans un monde où le faux domine. Faussetés, mensonges et contrefaçons n’ont jamais été aussi présents que maintenant. Que l’on parle de communication, d’information, de politique ou de mise en marché/mise en image, à peu près tout ce qui nous parvient – que ce soit par les internets ou via d’autres médias – a le potentiel d’être mis en doute. L’internet en particulier est le véhicule idéal de la désinformation et de la propagande. La nature même du numérique en facilite et en accélère la propagation. Ou plutôt : elle facilite et accélère la propagation de tout type de contenu, incluant le faux. Les modalités du numérique sont accessibles et omniprésentes : les téléphones intelligents – devrions-nous plutôt dire les ordinateurs : qui parle encore au téléphone aujourd’hui ? – sont entre les mains de tous, et les écrans, sous les yeux de chacun ; tout le temps, partout. La connexion constante est la norme. Attention, aucun jugement ici : je n’y échappe pas. Cependant c’est « l’open bar » pour l’intégral « fake » total.

 

Statut : « C’est compliqué »

Notre relation avec la réalité en ligne est devenue compliquée. Il n’est plus possible de croire ce que nous voyons. Qui peut encore dire ce que l’on voit réellement ? Des applications comme FaceTune, téléchargées en un seul clic pour presque rien, font un travail de Photoshop virtuose, digne de publicités haut de gamme d’avant les années quatre-vingt-dix. Tout ce qui se retrouve en ligne peut – et, dans une certaine mesure, doit – être absolument parfait : « exit » les visages moyens et les photos de petit-déjeuner médiocres, la lumière est claire et la peau lisse. Comment pouvons-nous encore vivre dans le monde réel ? Vivons-nous toujours dans un monde réel ?

Retournons en 2014 et rappelons-nous le cas d’Amalia Ulman, cette fille qui a trompé tout le monde avec son projet d’art Instagram. Je lisais récemment dans Dazed – qui publiait un article à l’occasion de la parution d’un livre sur ce projet – que « l’artiste numérique a passé quatre mois à préparer (il est écrit, en anglais, « to curate ») un profil Instagram documentant la vie d’une jeune fille tentant de faire sa place à Los Angeles. Nous avons regardé l’histoire d’Ulman se dérouler, [photo après photo] culminant avec une (fausse) opération d’augmentation mammaire et des excuses publiques. Au moment où près de 90 000 « followers » se trouvaient investis dans la vie d’Ulman, elle a annoncé que tout cela avait été un canular. »

« La pièce performative s’intitule « Excellences & Perfections » et fit sensation dans le monde de l’art. Non seulement Ulman a magistralement mis en lumière la capacité des médias sociaux à tromper, mais elle a aussi créé ce que les critiques ont qualifié de « premier chef d’œuvre Instagram ». En 2016, la pièce était incluse dans une exposition de groupe à la Tate Modern, « Performing for the Camera », faisant d’elle la première artiste des médias sociaux à entrer dans une prestigieuse institution d’art contemporain. Aujourd’hui, « Excellences & Perfections » se révèle plus pertinente que jamais, préfigurant notre relation de plus en plus malsaine avec Instagram et les notions douteuses de vérité en ligne. » La vérité en ligne existe-t-elle seulement ? Tout n’est-il pas, à divers degrés, « stagé » ?

D’une certaine manière, les artistes traitent toujours de quelque chose que nous pourrions appeler un « au-delà de la vérité ». Créer est souvent lié à une transformation de la réalité et aux différentes vérités qui la constituent et la construisent. La réalité est complexe et la complexité contient beaucoup de vérités, toutes vraies en même temps. Que pouvons-nous faire avec ça ? Qu’en faisons-nous réellement ?

 

Pendant ce temps, dans l’univers des sciences

Le monde scientifique peut aussi être le lieu de canulars notables : il n’est pas exactement intouchable. Par exemple le projet SCIgen constitue une contribution significative à l’univers des « fake sciences » (merci à Philippe-Aubert Gauthier pour avoir porté ce projet à mon attention). Il s’agit d’un programme informatique algorithmique, faisant usage de grammaire non-contextuelle, afin de générer des textes insensés sous la forme d’articles scientifiques traitant des sciences informatiques. Créé par des scientifiques du MIT – Jeremy Stribling, Max Krohn et Dan Aguayo – le projet visait à démontrer le manque de sérieux de certaines conférences et journaux académiques qui acceptent des propositions de présentations sans en vérifier les fondements élémentaires.

SCIgen a attiré l’attention des médias en 2005 lorsque l’équipe a soumis une proposition intitulée Rooter: A Methodology for the Typical Unification of Access Points and Redundancy à la conférence World Multiconference on Systemics, Cybernetics and Informatics (WMSCI) et où les auteurs ont été invités à faire une présentation. À la suite de quoi ils ont révélé le canular, puis l’invitation leur a été retirée. Malgré cela ils se sont tout de même rendu sur place, par leur propre moyen, en retrait de la cohorte officielle, et ils ont performé des présentations ponctuelles dans le but de dénoncer l’état de la situation dans le milieu scientifique académique. La soumission de faux articles, et la fraude en général dans la recherche, n’est pas chose nouvelle et, vu de l’extérieur, nous sommes en droit de nous étonner de ce relâchement de la rigueur tant valorisée dans le monde des sciences. La pression exercée sur les chercheurs afin de s’inscrire dans une logique de performance quantitative plutôt que qualitative peut ici être pointée du doigt (relire à ce sujet Quand la science est cassée ou quelques considérations sur le management quantitatif en science comme en art écrit en duo avec mon collègue Miguel Aubouy). En outre, l’aspect qualitatif n’est-il pas considéré, en sciences, comme allant de soi ? La question mérite certainement d’être considérée.

 

L’apparence de sciences

Si le « fake » est désormais partout, infiltré – sinon bien installé – dans à peu près tous les milieux et toutes les sphères de nos vies, il ne présente pas le même visage face à l’art. Après tout, ce dernier n’est-il pas pur mensonge ? Un mensonge socialement acceptable cependant, presque moral, voire vertueux. Et dans tous les cas : encouragé, applaudit, admiré. Un mensonge que nous accueillons comme salutaire : car l’art ment pour nous, à notre place en sommes. N’est-il pas le dernier espace de nos cultures où renverser la polarité vrai-faux permet d’entrevoir des possibles qui font sens ? Semblablement à la post-vérité : la vérité, dans l’art, est d’ordre secondaire. Opérant souvent sur le mode de l’appel à l’émotion, l’art se positionne en porte-à-faux avec la notion de vrai. Il se trouve ainsi en droit d’énoncer des contre-sens, de simuler des situations, d’inventer des images et des objets du monde, d’inventer des mondes.

Et parfois l’art se dissimule en fausse science, prenant ainsi des allures d’autorité. Ce faisant, il se moque au final tout aussi bien de la science que de l’autorité. Deux œuvres de l’artiste bruxellois Mathieu Zurstrassen me viennent spontanément en tête : 528HZ* et I Love You / I Hate You, TDS*.

528HZ* ou Talisman Incubator est une installation constituée de « fortune cookies » suspendus sous des cloches de verre et subissant, sur une durée de 48h en continu, l’émission d’une fréquence sonore de 528Hz – correspondant, en « fake sciences », à une fréquence apaisante et réparatrice. Elle pourrait, selon certains, modifier l’ADN et guérir des maladies. Fréquence miraculeuse, elle serait un vecteur de connexion avec soi-même et la nature. Aucune de ces croyances n’ont été scientifiquement prouvées, bien qu’un nombre conséquent de personnes y croient réellement. Un deuxième « layer » de sens vient se superposer à l’œuvre par l’usage de cloches de verre et d’un dispositif capable de générer des ondes sonores, rappelant indéniablement l’outillage scientifique. De même, l’usage qui en est fait calque un semblant de protocole scientifique. Puis le « fortune cookie » vient boucler la boucle de cette œuvre-expérience en y ajoutant l’ultime valeur ajoutée. Car de tous les objets pouvant être incubés sous la cloche, le fameux biscuit-oracle est lui-même un incubateur de « fake ». Porteur d’un message divinatoire à rabais, il est ici (faussement) optimisé – magiquement ou scientifiquement, c’est selon. On peut d’ailleurs se procurer ledit biscuit, attesté d’un certificat d’authentification numéroté et signé par l’artiste.

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Opérant sur un registre semblable, l’installation I Love You / I Hate You, TDS* – Trump Derangement Syndrome / Impartiality Bot s’inspire d’un vrai « fake science ». Il est écrit, sur le site de l’artiste qu’en « 2004, le docteur autoproclamé Masaru Emoto est devenu célèbre avec ses expériences sur les molécules d’eau. » Celles-ci ont supposément démontré « que les pensées et les intentions humaines pourraient éventuellement modifier la réalité physique telle que la structure moléculaire de l’eau. Emoto a rempli deux béchers d’eau : en s’adressant au premier, il déclamait des incantations positives et au second, négatives. Il a ensuite analysé au microscope la structure des cristaux produits après congélation des deux échantillons. L’un présentait une structure parfaitement ordonnée et l’autre une structure complètement désordonnée. Ces expériences n’ont jamais été reproduites dans un environnement de laboratoire et Emoto a refusé toute reproduction scientifique de ses expériences. Mais le succès était là, et un public significatif avait déjà embrassé ces croyances. Quelques années plus tard, après avoir fait fortune avec ses théories, il fit une autre démonstration du pouvoir de la pensée négative/positive. Cette nouvelle expérience a été nommée : « The Rice Experiment ». Emoto a ainsi placé des portions identiques de riz cuit dans deux récipients. Sur le premier bécher il a écrit « merci » et sur l’autre « tu es idiot ». Il a ensuite demandé à des écoliers de lire chaque jour à voix haute le texte des étiquettes des bocaux. Après 30 jours, le riz dans le récipient avec des pensées positives est demeuré à peine altéré, tandis que l’autre est devenu noir. »

« L’installation I Love You / I Hate You, TDS* tente de reproduire cette fameuse expérience. Un ordinateur connecté enregistre tous les tweets écrits par l’actuel président des États-Unis d’une part et par le compte Twitter « Love Quotes » d’autre part. Toutes les 25 secondes, une voix synthétique lit à voix haute les tweets recueillis : le son est diffusé à travers un haut-parleur placé sous l’un et l’autre des béchers, contenant exactement la même quantité d’un riz vénitien de haute qualité. L’expérience entièrement automatisée se déroule en continu pendant 30 jours. »

Abordant le thème des croyances populaires et l’inquiétant succès des données non vérifiées disponibles en ligne, ainsi que la manipulation de ces informations, l’installation joue d’une ironie certaine devant la question du « fake ». Elle pointe vers le manque de rigueur d’une science factice tout en bénéficiant, par la même occasion de ce manquement. Car c’est précisément cette faille dans l’édifice qui devient à la fois le prétexte à créer et le fondement (fissuré) de la création. Mais là où la science a le devoir de monter la garde et de se méfier, l’art s’amuse et fait la fête.

Autrement, on peut toujours manger du riz avec son milkshake, puis pour finir choisir un « fortune cookie » – en espérant y lire la vérité d’un avenir doux et radieux.

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Négocier avec la réalité

Quand je vois ou entends la formule « art et science », il m’arrive parfois de voir un haut mur d’incommunicabilité avec, d’un côté, de l’art (en liesse) et, de l’autre, de la science (accablée). Ma posture est telle que je vois les deux : j’ai une vue latérale où le mur m’apparaît en coupe. Je vois leurs similarités et leurs différences, mais eux ne se voient pas. De mon point de vue privilégié, il serait aisé d’aménager une rencontre. Dans ma tête ils dialoguent déjà, ils s’étonnent même de ne jamais s’être croisé : ils ont tant en commun. Mais dans la réalité, il y a un haut mur opaque qui les sépare, possiblement en pierres. Connaissent-ils seulement l’existence l’un de l’autre ?

L’art comme « fake science » – de même que les collaborations art-science de plus en plus présentes, notamment dans les laboratoires universitaires – figure certainement le début de quelque chose : l’amorce d’une négociation entre art, science et réalité ? Négocier avec la réalité implique de faire des concessions. Il faut transiger et entrer dans des processus de compromission entre les faits objectifs et notre perception biaisée ; entre exiger la vérité et recourir au mensonge ; croire aveuglément en la science et soutenir le regard de l’art. Mais ces oppositions sont imaginaires, elles ne reflètent pas la réalité, et c’est là que la négociation devient intéressante car elle se complexifie. La réalité est grise comme notre printemps des dernières semaines et, malgré les apparences, elle n’est pas si fixe qu’on le pense. Avec la post-vérité proliférante, c’est une post-réalité en jachère qui attend la chaleur du soleil.

 

« Short cut »

Ne sommes-nous pas tous à la recherche de vérité ? Ne s’agit-il pas d’une quête existentielle pour chacun de nous ? En ce sens, on peut supposer que le « fake » post-vérité représente pour certains un « short cut ».

 

Nathalie Bachand

Images (haut) : Fortune Cookie – photo par Charles Deluvio (unsplash.com) / Psychic Fortune Teller – photo par José Antonio Gallego (unsplash.com).

Images (corps de texte) : mèmes trouvés sur le web.

Images des oeuvres : 528HZ* et I Love You / I Hate You, TDS* – photos par Mathieu Zurstrassen (gracieuseté de l’artiste).