DOUGLAS SCHOLES / RÉSIDENCE D’ARTISTE ET EXPOSITION / DU SUBLIME AU SUBLIME : LES ERRANCES D’UN ÉBOUEUR SAUVAGE

Douglas Scholes
06.05 — 13.07 / 2018

Vernissage : Jeudi 31 mai 2018

Description de projet de résidence et d’exposition à Sporobole

Par Douglas Scholes

Je m’intéresse à l’esthétique pragmatique, à l’apparence intrinsèque et évolutive des biens publics et objets courants que l’on retrouve dans notre environnement. L’esthétique du quotidien qui les caractérise est le résultat de leur dynamique inhérente : l’utilisation que l’on en fait et le passage du temps. L’esthétique pragmatique met en évidence la tension entre l’état actuel et l’état potentiel d’un objet ou d’un espace – pourquoi et comment on en prend soin ou non –, suscitant, à grande échelle, des réactions complémentaires d’émerveillement ou d’effroi, et, plus communément, d’appréciation ou d’aversion. Au cours de déambulations et de promenades quotidiennes, le travail stimule réflexions et échanges sur l’état des choses, révélant les éléments visibles, mais non vus, qui s’infiltrent dans le quotidien – rendant visible l’inaperçu.

Du sublime au sublime : Les errances d’un éboueur sauvage

Errer, c’est flâner dans un but de découvrir des choses (jusqu’alors) inconnues. – Anonyme

… plutôt qu’aux choses qui chaque jour sont fabriquées, mises en vente et achetées, l’opulence de Léonie se mesure à celles qui chaque jour sont mises au rebut pour faire place à de nouvelles.

Italo Calvino, Les villes invisibles, 1972

Les errances d’un éboueur sauvage est une méditation sur la relation qu’entretiennent les humains d’aujourd’hui avec les déchets qu’ils produisent : ordures, vidanges, débris, rebuts, détritus. Ce projet cherche à ouvrir un espace de réflexion sur la condition des choses. Les actions d’entretien de l’Éboueur mettent en relief des efforts personnels à gérer les détritus trouvés dans les espaces publics et privés. Ces actions prennent notamment la forme de collectes et de tris des déchets qui s’accumulent en bordure des routes et dans les cours d’eau, et de rencontres avec les paysages utilitaires que sont les sites d’enfouissement actifs, désaffectés et clandestins.

L’Éboueur Sauvage part à la dérive vers les espaces oubliés, guidé par l’esthétique pragmatique à travers des actions tout à fait visibles, mais largement ignorées. Tout comme le personnage que représente Caspar David Friedrich dans son tableau Le Voyageur contemplant une mer de nuages (1818), l’Éboueur est un individu dans la collectivité, un individu habité par le sublime, ce double sentiment d’effroi et d’émerveillement vis-à-vis du monde et de tout ce qu’il contient.

Malgré le fait d’avoir été abandonnés et oubliés, les objets individuels qui se retrouvent dans nos déchets possèdent une beauté innée, que ce soit par la forme, la couleur, la matière de base ou les procédés de fabrication. Une certaine beauté peut aussi découler des processus de collecte et de distribution. La production des déchets est exclusive aux humains, corollaire de la richesse démesurée de nos cultures, mais aussi de notre débrouillardise et de notre créativité.

La valeur des déchets se transforme au rythme de leur accumulation. Aussitôt que leur volume est assez important pour être ramassés et triés en recyclage, compost et rebuts, ces déchets deviennent un produit dont la valeur est déterminée à la fois par l’économie de marché et les paramètres de réutilisation et d’enfouissement en vigueur.

La valeur des déchets se transforme de nouveau quand ils deviennent pollution, circulant librement dans les espaces communs, en bordure des routes, dans les arbustes, les arbres, les cours d’eau, les ruelles et les terrains vagues, formant des couches d’humus détritique. C’est ainsi que les déchets s’intègrent à l’esthétique pragmatique, aux apparences changeantes des objets, des lieux et des structures qui nous entourent — des apparences foncièrement dynamiques, vu leur ancrage dans l’utilisation et le passage du temps. Une partie de ces rebuts est collectée, déposée dans des récipients qui se vident comme par magie. Mais, une quantité importante de nos ordures demeure oubliée, ignorée, s’accumulant à la vue de tous.

L’Éboueur Sauvage se promène, trie, collecte et transporte ces déchets vers des sites d’enfouissement. Il se met debout sur les monticules, pour se mesurer à l’échelle de cette accumulation omniprésente.

Ces gestes peuvent provoquer chez l’Éboueur la confusion, des étourdissements et des syncopes face à la futilité de sa tâche, au sentiment d’horreur que provoquent le volume et l’omniprésence de notre gaspillage collectif.

À l’occasion, l’Éboueur balise ses errances par l’installation furtive de moulages en cire d’abeille d’objets communément trouvés dans les déchets, tels que les bouteilles d’eau en plastique et les tasses de café jetables — des exemples d’objets marchands à usage unique. Par un procédé de moulage, l’original est transformé d’un rebut sans valeur à un objet précieux requérant des soins particuliers et une protection contre sa propre vulnérabilité, sa fragilité intrinsèque. Pour l’Éboueur, l’abeille offre une métaphore pour la sublime dualité et la raison d’être que l’on puisse retrouver au sein d’une communauté ou d’une autre structure sociale, ainsi que dans le travail et les intérêts individuels et collectifs découlant de certaines postures éthiques prises dans les sphères publique et privée.

Dans l’espace public, l’Éboueur Sauvage installe discrètement ces moulages de cire en guise de repères marquant la trace de gestes posés. Ce sont des offrandes, des pistes de réflexion permettant de repenser la relation, le lien affectif que nous entretenons avec les objets produits par nos modes de vie contemporains.

Douglas Scholes, 2018

 

PERFORMANCE le 25 mai à 19h dans le cadre du festival du texte court en collaboration avec Frank Poule

 

crédits photo : Tanya St-Pierre