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Juliette Lusven & Memo Akten | CHANTIER IA | Exposition 2024

Sous la surface : une étude Solaristique

Pouvons-nous vraiment considérer la surface des choses sans soulever l’enjeu de leurs profondeurs? Pensons ici en termes de profondeurs plurielles, à l’image de notre monde et de ses multiples réalités parallèles, de son prisme de perspectives auxquelles nous n’accédons jamais entièrement. Semblablement, ce que l’intelligence artificielle (IA) exprime à l’écran provient de profondeurs auxquelles nous n’avons pas accès : une boîte noire qui demeure à ce jour opaque. Le « mystère » algorithmique de l’IA se déploie ainsi selon une certaine verticalité partant d’un fond insondable vers l’émergence d’une superficie mouvante. Cette relation surface-profondeur est la dialectique essentielle permettant l’apparition de l’impensé qui caractérise l’imaginaire de l’IA.
        LeSolaris de Tarkovski (1972), inspiré du roman éponyme (1961) de l’écrivain polonais Stanislaw Lem (1921-2006), est considéré comme l‘un des plus importants films de science-fiction de l’histoire du cinéma. L’océan protoplasmique de la planète Solaris, qui fait l’objet d’études lors d’une mission spatiale, semble avoir une emprise sur l’état psychologique de l’équipage : il génère la manifestation d’entités issues de la mémoire de chaque membre – à l’image de jumeaux numériques. Imaginée il y a plus de 60 ans, cette mer consciente, créatrice et agissante – dont la solaristique est l’étude – fait étrangement écho au magma algorithmique de l’IA et à l’imaginaire qui s’en dégage. Cette même IA qui occupe maintenant un espace grandissant jusque dans le détail de nos existences, tant en surface qu’en profondeur.  

L’œuvre vidéo Waves 2.0: Terra (2023) de Memo Akten évoque cette surface trouble qui laisse deviner une agitation sous-jacente. Réalisée à l’aide de simulation informatique et d’intelligence artificielle, elle s’inscrit dans une série en cours de création depuis une dizaine d’années. S’appuyant sur l’histoire des études artistiques et scientifiques des océans et de ses vagues, l’œuvre s’inspire notamment de grands maîtres de la peinture tels que Turner et Hokusai. Simulation sophistiquée et délicate d’un phénomène naturel, non moins complexe – celui des océans – cette mise en scène, à la fois dramatique et contemplative, nous invite à revisiter nos perspectives communes.   
        Puissant symbole du sublime en art, l’humeur changeante de l’océan suggère la rencontre de forces fondamentales et imprévisibles qui agissent dans l’ombre. Ce que laisse voir sa surface peut tromper sur l’activité interne qui en module les miroitements : une « intelligence » intérieure est à l’œuvre, laquelle contient tous les possibles pouvant s’ancrer, se matérialiser et émerger à l’existence. À l’image de la mer de Solaris, les manifestations de vagues, d’écume et d’autres « événements » en surface sont comme autant d’expressions visibles de la force de calcul sous-marine qui en génère la complexité de textures, de lumière et de mouvement. 

L’installation Visions Transatlantiques (2022) de Juliette Lusven dévoile, quant à elle, les profondeurs de cet océan et ce qu’il contient au-delà de ses qualités organiques. Il s’agit d’un ensemble complexe d’écrans et de projections entrelacés, à travers lesquels circule et s’articule un contenu visuel qui puise ses sources dans le programme informatique « Sonder (le monde) » spécifiquement conçu pour investiguer la topographie sous-marine du réseau Internet. Cette infrastructure transatlantique, point d’appui de notre connectivité mondiale, aussi concrète qu’imperceptible, soulève la question du mythe de l’immatérialité technologique. 
        Mimesis d’une mise en réseau que permet la fibre optique, le câblage de l’installation trace les contours d’un espace de réflexion autour de nos écosystèmes océanique et terrestre, et la manière dont ils négocient leur cohabitation avec notre réalité hyperconnectée. Telle une étude solaristique – dans laquelle la mer fictive de Solaris se trouve scrutée, évaluée, explorée, analysée – l’œuvre fonctionne comme un instrument qui permet de sonder cet univers sous-jacent où opèrent des processus de transmission d’information. Sous la surface – de l’océan comme de l’écran – se trouve ce système, cette structure qui conditionne l’existence d’Internet et, par défaut, celle des processus d’IA.

Commissaire : Nathalie Bachand

📸 © Juliette Lusven | arrêt sur image : flux bathymétrique vidéo du trajet sous-marin du câble Apollo (2003, 13000 km) entre Shirley, NY, USA, Bude, UK, Lannion, France et Manasquan, NJ, USA (relatif à l’installation Visions Transatlantiques).

Visions Transatlantiques a été présentée une première fois à la Galerie ELEKTRA à Montréal, à l’hiver 2022. Sporobole est heureuse d’accueillir une nouvelle version de l’œuvre en collaboration avec Max Boutin et Marc-André Cossette.

Ne manquez pas :

1. la performance de l’artiste Guillaume Pascale lors du vernissage le 27 septembre prochain!

2. Causerie avec l’artiste Juliette Lusven le 28 septembre prochain à 14 h